FABRICE TIGNAC l'interview "YOU-S" Par Etienne Bianco
Il ne porte pas la barbe mais a toujours un rasoir sur lui. Il ne veut pas rejouer Le Grand Rasage (Scorsese), rassurez-vous. Non, Fabrice Tignac fait de la photo comme personne n'en fait, avec des lames de rasoir. Si vous êtes sceptique par le procédé (qui nous a surpris aussi), ouvrez grand vos yeux, car Fabrice, avec cette idée, nous dévoile une autre lumière, nous donne une nouvelle perception de l'image. Et en plus, c'est beau.
Par Etienne Bianco
Comment avez-vous découvert la photographie ?
J'ai pris l'habitude depuis de longues années d'avoir à portée de main un appareil photographique au fond de mon sac et surtout un appareil jetable dans la poche qui m'a rendu beaucoup services, la qualité aléatoire du cliché au développement déconcertait mon labo photo du quartier, il osait à peine me demander de régler la facture du développement, puis me prenait pour un fou quand je m'acquittais de ma facture et lui en commandais des doubles pour le lendemain, deux moments de bonheur en un, sa tête ahurie et mes photos presque loupées.
Comment en êtes-vous venu à faire de la photographie à coups de rasoir ?
La photographie était pour moi un outil qui accompagnait mes créations. Je photographiais le lieu où l'espace public qui était destiné à accueillir mes oeuvres (sculptures et installations en extérieur) sous différents angles et points de vue en tenant compte des déplacements des futurs visiteurs, les commanditaires et organisateurs de mes expositions me réclamaient un visuel pour éditer les affiches et cartons d'invitation alors que l'oeuvre été à peine en cours de réalisation à l'atelier. Je ne pouvais leur proposer que des photos de pelouse verte et place urbaine vide d'oeuvre, c'est dans ces moments d'urgence que l'instinct créatif accélère jusqu'au déclic salvateur.
Avez-vous tenté d'autres expérimentations avant de trouver la bonne ?
J'ai commencé cette technique cela fait bientôt 15 ans. J'ai totalement arrêté la sculpture et les installations sur les conseils de mon entourage professionnel qui appréciait énormément l'originalité de mes cartons d'invitation et m'incitait à poursuivre ma démarche pour aboutir à une oeuvre en tant que telle, mais avant cela j'ai longuement testé, cuisiné, torturé le papier argentique pour aboutir à un geste simple maintenant évident pour moi, et qui consiste, à partir de tirages photographiques argentiques standards 10 X 15 cm à jouer sur l'épaisseur de la gélatine (4,5 microns), avec minutie. J'impose des petits coups de rasoir, en appuyant plus ou moins fort pour enlever la couleur. Ce travail se fait par soustraction de matière, en enlevant, grattant, creusant, attaquant mécaniquement (à l'aide de lames) certaines couches de l'image de façon partielle ou totale.
Que reflète ces coups de rasoirs ? Qu'expriment-ils ?
Ils sont très parlants dans la série des "portraits communs" et des "souvenirs trouvés" ou des personnages ont une présence centrale dans la photographie, où les coups de rasoir peuvent paraître violents voire dérangeants; il n'en est rien de cela, en enlevant le regard de chaque personnage, je cache leur identité, j'accentue leur présence et les repositionne dans une nouvelle histoire. Il m'arrive assez souvent lors d'expositions qu'un visiteur exprime son étonnement et son émotion, se retrouve ou du moins retrouvait une part de ses souvenirs, sa première impression à la lecture de la photographie le dérange, puis se transforme assez rapidement en approbation, il s'approprie l'image retravaillée, nous échangeons, nous discutons. Mon travail d'artiste est de transmettre et de partager des émotions est réussi et nous repartons chacun enrichi d'une nouvelle expérience.
Quelles sont les thèmes que vous abordez généralement dans vos oeuvres ?
J'apprécie, et j'oriente mes choix de sujet photographique sur des thèmes simples, architecture, scènes de la vie quotidienne, objets, mobilier, mais aussi les photos anciennes noir et blanc ou sépia, lors d'une exposition dans un centre d'art, j'ai distribué des appareils jetables à mon entourage pour qu'ils photographient leur intérieur de réfrigérateur, après le passage à mon atelier et celui de ma lame de rasoir, le résultat de l'ensemble allait au-delà de mes attentes.
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Etes-vous plus attaché au travail du cadre, de la lumière, ou bien aux coups de rasoirs qui vont apporter une lumière différente, faire ressortir certains éléments ?
Mon ancienne activité de dessinateur et peintre m'ont donné une certaine facilité à saisir le bon cadrage et trouvé l'équilibre visuel dans la composition de façon à ce que le regard ne se perde pas sur l'image et reste spontanément fixé sur le sujet et l'ambiance que je désire montrer. Vient après le traitement du rasoir qui re-souligne sa composition et fait apparaître les couleurs du rouge foncé au jaune clair et blanc c'est-à-dire à l'effacement, qui donne de nouvelles sensations à la photographie qui sont vitesse et chaleur.
Qui sont les photographes que vous appréciez (et qui vous aident dans votre travail) ?
Mon grand-père qui adorait les arts et entre autres la photographie, sur les derniers jours de sa vie, il avait pris la fâcheuse habitude de tenir son appareil totalement à l'envers, j'ai donc hérité de lui, d'une collection d'autoportraits en gros plan assez déconcertante!
Vous avez fait de nombreuses expositions. Y en a-t-il une qui vous a laissé un souvenir plus marquant ?
L'été 2010 au Château Beychevelle surnommé " le petit Versailles" de la région viticole du médoc. J'ai été accueilli en résidence et j'exposais dans le cadre du programme de mécénat "1 Château pour 1 Artiste" qui s'inscrit dans les travaux des chercheurs de la chaire Arts, Culture et Management en Europe (ACME) et de la Bordeaux Management School (BEM), sur les notions de mécénat culturel, région créative, industrie créative, alliance stratégique de l'art et du vin développé par Anne Gombault, professeur responsable de la chaire ACME de BEM et l'agence Art&Com, en partenariat avec la société All Mécénat. J'ai vécu les conditions de travail à la hauteur de la célèbre villa Médicis, le personnel et l'équipe de direction étaient attentifs et chaleureux
Quels sont vos projets pour la suite ? Allez-vous nous trouver une autre façon de faire de la photographie ?
J'ai encore beaucoup de choses à montrer et à découvrir avec cette technique, je vais partager une exposition et résidence avec Fabrice Lassort. Il est un spécialiste des procédés anciens et il fabrique ses appareils: cartophotes, sténopés, mais aussi ses chimies avec la cyanotopie, le papier salé ou les positifs directs. Une perception visuelle atypique, totalement moderne qui interroge fondamentalement la question de la photographie d'art face à la vulgarisation des images notamment celles numérisées. Cet artiste nous ouvre les portes de rituels magiques ou l'expérience de l'image se renouvèle à chaque fois, une belle aventure et j'espère de nouvelles découvertes issues de nos savoirs partagés. J'ai bien sûr une programmation d'expositions en cours, et je suis toujours très attentif au regard qui est porté à mon travail et à l'émotion qui y conduit.ez ici pour modifier.
Il ne porte pas la barbe mais a toujours un rasoir sur lui. Il ne veut pas rejouer Le Grand Rasage (Scorsese), rassurez-vous. Non, Fabrice Tignac fait de la photo comme personne n'en fait, avec des lames de rasoir. Si vous êtes sceptique par le procédé (qui nous a surpris aussi), ouvrez grand vos yeux, car Fabrice, avec cette idée, nous dévoile une autre lumière, nous donne une nouvelle perception de l'image. Et en plus, c'est beau.
Par Etienne Bianco
Comment avez-vous découvert la photographie ?
J'ai pris l'habitude depuis de longues années d'avoir à portée de main un appareil photographique au fond de mon sac et surtout un appareil jetable dans la poche qui m'a rendu beaucoup services, la qualité aléatoire du cliché au développement déconcertait mon labo photo du quartier, il osait à peine me demander de régler la facture du développement, puis me prenait pour un fou quand je m'acquittais de ma facture et lui en commandais des doubles pour le lendemain, deux moments de bonheur en un, sa tête ahurie et mes photos presque loupées.
Comment en êtes-vous venu à faire de la photographie à coups de rasoir ?
La photographie était pour moi un outil qui accompagnait mes créations. Je photographiais le lieu où l'espace public qui était destiné à accueillir mes oeuvres (sculptures et installations en extérieur) sous différents angles et points de vue en tenant compte des déplacements des futurs visiteurs, les commanditaires et organisateurs de mes expositions me réclamaient un visuel pour éditer les affiches et cartons d'invitation alors que l'oeuvre été à peine en cours de réalisation à l'atelier. Je ne pouvais leur proposer que des photos de pelouse verte et place urbaine vide d'oeuvre, c'est dans ces moments d'urgence que l'instinct créatif accélère jusqu'au déclic salvateur.
Avez-vous tenté d'autres expérimentations avant de trouver la bonne ?
J'ai commencé cette technique cela fait bientôt 15 ans. J'ai totalement arrêté la sculpture et les installations sur les conseils de mon entourage professionnel qui appréciait énormément l'originalité de mes cartons d'invitation et m'incitait à poursuivre ma démarche pour aboutir à une oeuvre en tant que telle, mais avant cela j'ai longuement testé, cuisiné, torturé le papier argentique pour aboutir à un geste simple maintenant évident pour moi, et qui consiste, à partir de tirages photographiques argentiques standards 10 X 15 cm à jouer sur l'épaisseur de la gélatine (4,5 microns), avec minutie. J'impose des petits coups de rasoir, en appuyant plus ou moins fort pour enlever la couleur. Ce travail se fait par soustraction de matière, en enlevant, grattant, creusant, attaquant mécaniquement (à l'aide de lames) certaines couches de l'image de façon partielle ou totale.
Que reflète ces coups de rasoirs ? Qu'expriment-ils ?
Ils sont très parlants dans la série des "portraits communs" et des "souvenirs trouvés" ou des personnages ont une présence centrale dans la photographie, où les coups de rasoir peuvent paraître violents voire dérangeants; il n'en est rien de cela, en enlevant le regard de chaque personnage, je cache leur identité, j'accentue leur présence et les repositionne dans une nouvelle histoire. Il m'arrive assez souvent lors d'expositions qu'un visiteur exprime son étonnement et son émotion, se retrouve ou du moins retrouvait une part de ses souvenirs, sa première impression à la lecture de la photographie le dérange, puis se transforme assez rapidement en approbation, il s'approprie l'image retravaillée, nous échangeons, nous discutons. Mon travail d'artiste est de transmettre et de partager des émotions est réussi et nous repartons chacun enrichi d'une nouvelle expérience.
Quelles sont les thèmes que vous abordez généralement dans vos oeuvres ?
J'apprécie, et j'oriente mes choix de sujet photographique sur des thèmes simples, architecture, scènes de la vie quotidienne, objets, mobilier, mais aussi les photos anciennes noir et blanc ou sépia, lors d'une exposition dans un centre d'art, j'ai distribué des appareils jetables à mon entourage pour qu'ils photographient leur intérieur de réfrigérateur, après le passage à mon atelier et celui de ma lame de rasoir, le résultat de l'ensemble allait au-delà de mes attentes.
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Etes-vous plus attaché au travail du cadre, de la lumière, ou bien aux coups de rasoirs qui vont apporter une lumière différente, faire ressortir certains éléments ?
Mon ancienne activité de dessinateur et peintre m'ont donné une certaine facilité à saisir le bon cadrage et trouvé l'équilibre visuel dans la composition de façon à ce que le regard ne se perde pas sur l'image et reste spontanément fixé sur le sujet et l'ambiance que je désire montrer. Vient après le traitement du rasoir qui re-souligne sa composition et fait apparaître les couleurs du rouge foncé au jaune clair et blanc c'est-à-dire à l'effacement, qui donne de nouvelles sensations à la photographie qui sont vitesse et chaleur.
Qui sont les photographes que vous appréciez (et qui vous aident dans votre travail) ?
Mon grand-père qui adorait les arts et entre autres la photographie, sur les derniers jours de sa vie, il avait pris la fâcheuse habitude de tenir son appareil totalement à l'envers, j'ai donc hérité de lui, d'une collection d'autoportraits en gros plan assez déconcertante!
Vous avez fait de nombreuses expositions. Y en a-t-il une qui vous a laissé un souvenir plus marquant ?
L'été 2010 au Château Beychevelle surnommé " le petit Versailles" de la région viticole du médoc. J'ai été accueilli en résidence et j'exposais dans le cadre du programme de mécénat "1 Château pour 1 Artiste" qui s'inscrit dans les travaux des chercheurs de la chaire Arts, Culture et Management en Europe (ACME) et de la Bordeaux Management School (BEM), sur les notions de mécénat culturel, région créative, industrie créative, alliance stratégique de l'art et du vin développé par Anne Gombault, professeur responsable de la chaire ACME de BEM et l'agence Art&Com, en partenariat avec la société All Mécénat. J'ai vécu les conditions de travail à la hauteur de la célèbre villa Médicis, le personnel et l'équipe de direction étaient attentifs et chaleureux
Quels sont vos projets pour la suite ? Allez-vous nous trouver une autre façon de faire de la photographie ?
J'ai encore beaucoup de choses à montrer et à découvrir avec cette technique, je vais partager une exposition et résidence avec Fabrice Lassort. Il est un spécialiste des procédés anciens et il fabrique ses appareils: cartophotes, sténopés, mais aussi ses chimies avec la cyanotopie, le papier salé ou les positifs directs. Une perception visuelle atypique, totalement moderne qui interroge fondamentalement la question de la photographie d'art face à la vulgarisation des images notamment celles numérisées. Cet artiste nous ouvre les portes de rituels magiques ou l'expérience de l'image se renouvèle à chaque fois, une belle aventure et j'espère de nouvelles découvertes issues de nos savoirs partagés. J'ai bien sûr une programmation d'expositions en cours, et je suis toujours très attentif au regard qui est porté à mon travail et à l'émotion qui y conduit.ez ici pour modifier.